samedi 23 mai 2009

Au revoir et merci


Née à la campagne dans une famille nombreuse, elle a souffert de la guerre et des privations.
Elle disait : Je ne pourrai plus jamais manger de topinambours.
Elle a patiemment attendu 7 ans le retour de son fiancé de guerre.
Elle disait : Raymond, il avait fière allure dans son uniforme.
Puis ils ont eu une unique petite fille qu'ils ont appelée Martine, comme l'héroïne des livres pour enfants.
Ils n'avaient pas beaucoup d'argent mais tous les trois, ils ont été heureux, je crois.
Elle appelait son mari "Zouzou"
Et cela nous faisait rire, mon frère et moi.
Elle aimait et admirait son gendre, qu'elle ne réussit jamais à tutoyer.
Elle disait : Jacques, vous reprendrez bien du gigot?
Chaque année, ils nous emmenaient en vacances un mois à la montagne ou à la mer.
Elle disait : Alors les enfants, vous êtes contents?
Plusieurs étés de suite, nous avons été à Ribiers, près de Sisteron.
Il faisait chaud et quand on ne se baignait pas dans le Buech, elle nous remplissait une bassine d'eau pour jouer dedans et s'arroser.
Elle m'achetait souvent des Schtroumphs au marché du village.
Elle faisait les courses en vélo et nous ramenait des chewing-gums et des sucettes.
Tous les dimanches à Bondy, elle nous servait des radis, une salade de tomates, du gigot bien saignant et de délicieuses frites maison.
Elle disait : Mangez, mangez, ne faites pas de restes.
Elle nous donnait en cachette, à Nico et à moi, une pièce de 10F.
Elle disait : Chut, ne le dis pas à ta mère.
Elle pleurait facilement et c'était un jeu d'enfants de la faire gentiment enrager.
Elle disait : Ah, les petits chameaux!
Elle s'inquiétait beaucoup pour nous et craignait toujours qu'on ne se fasse mal.
Elle disait : Couvre ta gorge, tu es toute dégavée!
Puis on a grandi mais elle s'inquiétait toujours autant.
Elle disait : ça va Régis? Et les enfants?
L'argent qu'ils avaient économisé, ils nous en faisaient profiter, mes parents, mon frère et moi.
Elle disait : Tu achèteras ce que tu voudras.
Elle était toujours là pour nous, même quand nous, jeunes et insouciants, n'étions pas toujours là pour elle.
Elle aimait raconter des histoires du temps où nous étions petits.
Elle disait : Nicolas jouait avec le petit camion, et quand Martine a demandé à lui parler au téléphone, il a crié : "A pas l'temps!".
Quand son mari, très malade, est mort, elle a pleuré et elle a dit :
C'est ce qu'il voulait, ce n'était plus une vie pour lui.
Elle était heureuse que Nicolas se souvienne aussi bien des récits de guerre de Pépé.
Elle disait : Ah, comment il s'appelait déjà, ce soldat... Si Nicolas était là, il saurait nous le dire.
Généreuse, hyper sensible et naïve, elle faisait toujours passer les autres avant elle-même.
Elle disait, les larmes aux yeux : Pauvre Mme x., elle n'a vraiment pas eu de chance dans la vie.
Elle était tellement fière quand j'amenais mes filles dans sa maison de retraite.
Elle disait : Eponine est aussi sensible que moi, et Sidonie a les yeux de son Pépé.
Hier au téléphone, elle m'a dit comme à chaque fois :
Ma cocotte, tu feras une bise à Régis et à tes poupettes de ma part.
J'ai dit : Je t'embrasse, Mamie.

Mais ce matin, après un premier arrêt cardiaque, elle s'est endormie doucement et ne s'est pas réveillée.
Elle venait d'avoir 85 ans et c'était ma grand-mère.

Avec elle, une part de mon enfance s'en est allée.

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